Après les grands chamboulements de 2012, suite à l’arrivée sur le marché de Free Mobile, l’année 2013 avait été relativement calme dans le secteur de la téléphonie mobile, le seul fait vraiment marquant étant le lancement de la 4G sans surcoût sur bon nombre de forfaits. L’année 2014 s’annonce par contre très houleuse…
On le savait depuis quelques temps déjà, et les rumeurs l’annonçaient depuis bien plus longtemps encore : Vivendi, propriétaire de SFR, ne trouve plus l’opérateur à son goût (manque de rentabilité ?) et souhaite donc s’en défaire. Depuis la semaine dernière, on sait qu’il n’y a que deux candidats à cette reprise : Numericable et Bouygues.
Le rachat par Numericable serait à priori sans grand impact sur le marché. La fusion des deux opérateurs permettrait à Numericable de se passer de Bouygues pour son offre mobile, et renforcerait légèrement la position de SFR en tant que numéro deux sur les accès Internet, et c’est à peu près tout.
L’offre de Bouygues serait par contre bien plus lourde de conséquences, puisqu’elle signifierait le retour à trois opérateurs mobiles, deux très gros, Orange et SFRygues et un petit, Free Mobile. Cette offre étant plus intéressante pour Vivendi, grâce à la solidité financière du groupe Bouygues, il est probable que ce soit cette offre qui obtienne les faveurs de Vivendi. Mais il faudra aussi obtenir l’aval des autorités, ce qui n’est pas forcément gagné d’avance… Si Arnaud Montebourg a déjà clairement exprimé son souhait d’un retour à trois opérateurs, il n’en est pas forcément de même du côté de l’Élysée ou de l’ARCEP…
Pour renforcer son dossier auprès des autorités et augmenter les chances de validations, Bouygues a donc sorti le grand jeu, au point que l’éventualité du rachat de SFR par Bouygues ne soit plus que l’arbre qui cache la forêt : une totale redistribution des cartes dans le secteur du mobile. Martin Bouygues a en effet laissé entrer les romanichels dans son château et, après trois jours de négociation, est parvenu à un accord historique : si Bouygues rachète SFR, il cédera son réseau mobile actuel (2G, 3G et 4G) à Free Mobile, pour 1.8 milliards d’euros. Les conséquences de l’opération seront nombreuses, avec des gagnants et des perdants…
Commençons bien sûr par les gagnants, au premier rang desquels il y a Free Mobile. Le quatrième opérateur est en effet probablement celui qui a le plus à gagner dans l’affaire : pour 1.8 milliards d’euros « seulement », il obtiendrait un réseau 2G, 3G et 4G dont la couverture est sans commune mesure avec celle dont il dispose aujourd’hui avec son propre réseau. L’accord inclus au moins une partie des fréquences de Bouygues Télécom, mais les opérateurs n’ont pour l’instant pas donné plus de détails sur ce point. En plus de gagner des années sur le déploiement de réseau (et de faire par la même occasion de belles économies…), Free Mobile devrait aussi pouvoir se passer du coûteux accord d’itinérance avec Orange.
Le second gagnant est bien sûr Bouygues. En combinant les deux opérations, il passerait de troisième opérateur mobile du marché, avec 11.3 millions d’abonnés (et Free Mobile déjà à 7.4 millions qui commence à lui souffler dans la nuque…) à premier opérateur, avec 32.3 millions de clients, loin devant Orange (26.7 millions). Mais le bilan pour Bouygues est tout de même plus contrasté, puisqu’il cédera le « meilleur réseau 4G de France » qu’il vante tant, la couverture du réseau de SFR étant largement moindre… De plus, la question de la capacité du réseau se posera forcément : passer de 21 millions d’abonnés à 32.3 millions risque de nécessiter quelques investissements pour tenir la charge…
Du côté des perdants, on compterait bien entendu Orange. L’opérateur historique perdrait l’accord d’itinérance avec Free Mobile, qui lui a permis de largement limiter la casse suite à la baisse des tarifs et deviendrait le second opérateur, une place à laquelle il n’est pas très habitué, Orange ayant toujours été leader, aussi bien sur le mobile que sur le fixe.
Numericable de son côté perdrait quasiment tout espoir de devenir un opérateur mobile, ce qui pourrait lui poser à moyen terme des difficultés pour subsister dans le fixe, d’autant plus qu’il compte aujourd’hui parmi ses clients Bouygues Télécom, qui utilise son réseau fibre, mais qui pourrait petit à petit s’en passer grâce à SFR…
Enfin, il y a l’épineuse question des salariés, qui pourraient eux aussi devenir les grands perdants… Pour obtenir l’aval des autorités, Bouygues s’est engagé à ce que le rachat de SFR se fasse sans pertes d’emplois. Il pourrait par contre en être autrement dans le cas de l’accord avec Free Mobile. Bouygues souhaite en effet conserver les employés qui s’occupent actuellement du réseau, ce qui signifierait donc les réaffecter au réseau SFR. Mais alors quid de ceux qui s’occupaient du réseau SFR ? L’opérateur risque fort de se retrouver en sureffectif, auquel cas on peut douter qu’il ne prenne aucune mesure… Les pertes d’emplois seraient bien sûr partiellement compensées par le fait que Free devra de son côté renforcer ses équipes, mais pas sûr que le solde soit nul…
Et le client dans tout ça ? Difficile de juger quelles seront les conséquences pour le client… La diminution de la concurrence pourrait bien sûr avoir un effet négatif sur les prix, mais d’un autre côté Free Mobile, habitué à casser les prix, pourrait peut-être le faire encore plus efficacement avec le réseau racheté… On peut par contre s’attendre à ce que les clients de Bouygues subissent quelques désagréments avec la bascule sur le réseau SFR, notamment une perte de couverture en 4G, tandis que les clients SFR pourraient observer des baisses de performances si le réseau ne parvient pas à tenir la charge…